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Ouverture de la journée Sciences et Médias : Femmes scientifiques à la une ! Comment améliorer la représentation des femmes scientifiques dans les médias ?

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J’ai eu le plaisir d’intervenir, le vendredi 29 janvier 2021, en ouverture de la journée Sciences et Médias organisée à la Bibliothèque nationale de France. Un grand merci à nouveau aux sociétés savantes organisatrices de cet événement ainsi qu’à l’association des journalistes scientifiques de la presse d’information. Et voici l’intervention que j’ai pu prononcer :

Je suis ravie d’inaugurer la cinquième édition de cette journée Sciences et Médias consacrée aux femmes scientifiques, depuis la Bibliothèque Nationale de France qui est malheureusement fermée au public. Une intervention qui sera ce matin consacrée à un thème qui nous anime toutes et tous : la question de la représentation des femmes scientifiques dans les médias. Un sujet qui, nous le voyons dans ce contexte d’épidémie de la Covid-19, est mis en exergue en temps de crise.

Tout d’abord j’aimerais évoquer la dégradation de la représentation des expertes dans les médias qui a eu lieu pendant cette crise de la Covid-19.

Avec un chiffre : 9%.

9%. C’est le pourcentage de femmes expertes interviewées par le journal télévisé d’une grande chaîne en mars 2020, et qui a dégringolé par rapport au chiffre de 40% en moyenne sur une année et qui ne remonte qu’à 20% au mois d’avril.

Un deuxième chiffre : 84 %

C’est le pourcentage de personnalités masculines à la une des 7 grands quotidiens nationaux, pendant la crise ! Et nous parlons bien de personnalités. Car, a contrario, lorsqu’il s’agissait de mettre en Une des inconnus, bizarrement on retrouvait légèrement plus de femmes que d’hommes. Comme si la parole de « l’inconnu », le témoignage, pouvait être féminin mais que lorsque les choses sérieuses commençaient, lorsqu’il s’agissait de donner la parole à une personnalité, les femmes devaient s’effacer au profit des hommes.

Ces chiffres, comme vous le voyez, sont édifiants. Mais ils sont nécessaires pour objectiver une situation. C’est pour cela que m’a été confiée une mission, en avril dernier, à la demande du Premier Ministre Édouard Philippe, et sous l’impulsion des ministres Marlène Schiappa et Franck Riester, que je souhaite ici remercier. Cette mission visait à analyser la représentation des femmes dans les médias en temps de crise et à formuler des préconisations visant à l’améliorer.

Les chiffres que je vous ai partagés proviennent d’études que j’ai pu mener dans le cadre de ma mission, qui nous a aussi permis de conduire près de 80 auditions et rencontrer plus de 200 personnes. Pour ne pas se situer sur le seul terrain du ressenti, la priorité était de cerner le problème tel qu’il était. Ce rapport a donc été l’occasion de faire un travail d’analyse approfondie, à la fois sur l’ampleur et la nature de la représentation femmes dans les contenus des médias audiovisuels et de presse écrite, mais aussi dans les organisations des entreprises de médias, même si ce dernier sujet nous concerne moins ce matin.

Une fois la situation objectivée, notre ambition était claire : formuler des recommandations afin d’améliorer la place des femmes dans les médias, qu’ils soient audiovisuels ou de presse écrite, tant dans les contenus que dans les organisations.

Après un travail de près de 6 mois, j’ai pu remettre au Premier Ministre Jean Castex, ainsi qu’aux ministres Roselyne Bachelot et Elisabeth Moreno un rapport comprenant 26 préconisations, dont 24 seront mises en œuvre comme l’a annoncé Roselyne Bachelot il y a quelques jours. Et je suis heureuse de partager avec vous ce matin certaines de ces préconisations, qui, je l’espère, auront un impact concret sur la représentation des femmes – votre représentation Mesdames, en tant que scientifiques – dans les médias. Et je formule également le vœu qu’elles interpellent les journalistes, celles et ceux qui sont aujourd’hui parmi nous – mais pas que ! – pour que les femmes expertes, en particulier dans les sciences, soient plus présentes dans les médias.

D’abord : il faut compter. Ce comptage est indispensable car il permet une véritable prise de conscience et de mettre en place des actions correctives. Nous avons pu, et je salue ici les initiatives existantes, nous baser sur des études ad-hoc menées par l’INA ou le CSA, en particulier sur les médias audiovisuels. Nous avons aussi fait notre propre comptage sur les 10 interviews phares des 8 matinales radio les plus écoutées. Mais rapidement, nous nous sommes heurtés au manque de précision des indicateurs. Il ne s’agit pas simplement de compter, quantitativement. La qualité compte aussi. Où sont les femmes ? Dans quels types de médias ou d’émissions ? De quoi parlent-elles ? Sont-elles plus interrompues que les hommes ?

A titre d’exemple, si le CSA effectue déjà des études sur la présence des femmes dans les médias, les données ainsi collectées sont encore limitées à un certain nombre d’indicateurs qui mériteraient d’être complétés. Ceux-ci pourraient davantage inclure l’heure de passage à laquelle les femmes s’expriment à la radio ou à la télévision. Car il est primordial de connaître la portée qu’a la parole de ces femmes – combien de spectatrices ou spectateurs, auditrices ou auditeurs les voient et les écoutent ? De quel sujet ces femmes parlent-elles ? Sont-elles cantonnées, comme c’est encore trop souvent le cas, à l’expertise dans certains domaines, notamment dans les sciences humaines et sociales ?

Ces indicateurs pourraient donc également inclure la filière d’où provient les femmes expertes qui prennent la parole.

Car si nous disons oui à plus de représentation, elle ne doit pas être uniquement dans les filières dites « douces » mais également dans les sciences dites « dures » ! Et alors même que les statistiques sur la place des femmes peuvent paraître équitables, l’analyse granulaire révèle des ségrégations de filières genrées.

Toujours sur cette notion d’indicateurs, j’aimerais qu’on leur prête une attention particulière en temps de crise. Dans ce sens, je préconise qu’on fasse en sorte de renforcer le dispositif de comptage du CSA en incluant des modalités spécifiques aux période de crise ou d’urgence. Il s’agit là de veiller au maintien de la parité sur les plateaux ou dans les colonnes, même en situation d’urgence, et ce surtout dans les émissions de savoir et de connaissance. Car comme le disait Simone de Beauvoir : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. »

Parce que nous l’avons vu pendant la crise sanitaire : les femmes scientifiques ont disparu des émissions de savoir et de connaissance, au profit des hommes qui nous expliquaient l’épidémie. Bien évidemment, il y a des contre-exemples, tels que l’épidémiologiste Dominique Costagliola et l’infectiologue Karine Lacombe, que je remercie d’ailleurs d’avoir porté une voix rassurante et pédagogue tout au long de cette crise. Vous aurez la chance d’entendre Karine Lacombe plus tard dans la journée, et je sais que cet échange sera fructueux !

Parallèlement à ce comptage réalisé par des institutions tierces, je tiens à préciser qu’il est également primordial que les médias eux-mêmes se dotent d’outils pour compter la présence des femmes dans leurs contenus. Alors, cela peut paraître un défi redoutable et chronophage, mais il existe des outils qui facilitent ce travail : il y a l’INA Speech Segmenter, qui permet, grâce à la technologie de l’intelligence artificielle, de distinguer les voix des femmes et les voix des hommes pour déterminer le temps de parole de chaque sexe. Je peux également citer le Paritomètre, développé par le journal suisse Le Temps, qui permet de mesurer, en temps réel, la place des femmes dans les contenus mis en ligne sur le site Internet du journal. Je veux aussi souligner ce dispositif du Temps car il est en open source, et donc des médias français peuvent s’en saisir et en développer un similaire !

Concernant la représentation des femmes dans les organisations journalistiques, il faut compter là aussi, et il nous manque des données. Et pour ce faire, il nous faut l’engagement de chacune et chacun. Nous devons toutes et tous être des vigies, pour que la place des femmes dans les organisations progresse, et ce à tous les niveaux de responsabilités.

Par ailleurs, nous avons également réfléchi et proposé la mise en place d’un bonus sur les aides à la presse pour les entreprises qui se doteraient soit d’outils de comptage, comme ceux dont je vous parlais, soit d’une charte d’engagement, soit encore d’outils de formation et de sensibilisation des équipes. Ce bonus aurait un effet incitatif et pourrait être compensé, pour les finances publiques, par la mise en place d’un malus progressif pour les entreprises qui ne respectent pas les obligations légales, notamment en termes d’égalité salariale. Et un tel dispositif nous ouvre des perspectives, et notamment une : l’éga-conditionnalité des aides publiques. Ou comment veiller à ce que des aides publiques ne soit versées que si elles permettent d’améliorer la situation du sexe le moins représenté ! Encore trop souvent, les femmes. C’est un sujet sur lequel nous avons encore du chemin à parcourir, en nous inspirant aussi de ce qui se fait à l’étranger.

J’aimerais également vous parler du lien à construire entre vous, femmes scientifiques, et les médias, notamment les journalistes, scientifiques mais pas exclusivement, car j’ai la chance de m’adresser à nombreux d’entre vous aujourd’hui. Ce lien de confiance, il faut le pérenniser, l’entretenir. Voir le bâtir. Et ce, bien en amont ! Pas seulement à 30 minutes d’un plateau ou la veille d’un papier.

Mais du côté des femmes scientifiques il y a également une promesse à tenir : il faut accepter l’exercice médiatique. La plateforme des Expertes, que vous connaissez surement, qui recense près de 4 000 femmes expertes dans tous les domaines, filières et thématiques, de l’agronomie à la chimie en passant par les maladies infectieuses. Les médias peuvent s’engager à utiliser cette ressource gratuite pour atteindre la parité sur leurs plateaux ou dans leurs papiers en contactant les expertes qui s’y sont inscrites.

Mais ces expertes doivent elles aussi s’engager à répondre à l’appel, à prendre la parole lorsque l’on veut leur donner. Et je vous invite donc, Mesdames, si ce n’est déjà fait, à vous saisir de cet outil, à vous inscrire sur ce site Expertes.fr pour porter la parole d’expertise qui est la vôtre. Et j’aime souvent à rappeler que si nous ne le faisons pas pour nous, Mesdames, nous avons ce devoir vis-à-vis des générations futures, vis-à-vis de celles qui ont besoin de voir ces fameux rôles modèles.

Ce site expertes.fr était en danger, faute de financement. Nous avons préconisé qu’il soit soutenu via des financements croisés, publics et privés. Et aujourd’hui, près de 4 mois après la remise de mon rapport, Les Expertes ont obtenu un financement pérenne, pour 3 ans, grâce aux contributions de nombreux médias, tels que France Télévisions, Radio France, Le Monde ou encore TF1, mais aussi grâce au soutien du Ministère de la Culture. Et nous pouvons nous en féliciter parce que ces financements permettront de rendre visibles les expertes et les rôles modèles.

Bien sûr, il y un travail à mener sur ces rôles modèles. Il nous faut plus d’exemples de leadership féminin dans les sciences, l’ingénierie, la recherche et l’innovation afin que les jeunes générations s’en inspirent et s’imaginent dans ces professions. A ce sujet, j’ai eu l’opportunité de travailler sur un autre rapport, cette fois ci en 2018, sur la place des femmes dans les sciences. Cette étude a révélé un constat : les femmes sont moins présentes dans les parcours scientifiques et technologiques à mesure que le niveau d’étude et de qualification augmente. C’est le phénomène du leaky pipeline, ou « tuyau qui fuit ».

Ce plafond de verre révèle une accumulation d’obstacles pour les femmes. Elles sont en moyenne moins présentes dans les filières plus dynamiques et les mieux rémunérées, et sont a contrario plus nombreuses dans les contrats précaires et de temps-partiel.

Les femmes sont aussi moins présentes aux postes en haut des filières scientifiques, car elles ont tendance à s’investir dans des tâches dites « parallèles », telles que le mentorat ou le coaching des plus jeunes. Ceci, bien qu’essentiel pour encourager d’autres femmes dans le domaine scientifique, peut prendre du temps sur des travaux de publication. Il est dramatique que ces actions de mentorat se fassent au détriment des publications, et donc in fine au détriment de la carrière des femmes scientifiques. Je crois donc indispensable de faire évoluer les critères d’évaluation de la contribution à la science. Car, oui, quand une femme scientifique prend sur son temps, pour entourer, accompagner une autre femme scientifique, elle contribue, elle aussi à la science.

Mon rapport Femmes & Sciences a été l’occasion de définir des axes d’action, notamment dans le domaine de l’école jusqu’à l’enseignement supérieur. On remarque en effet qu’un travail dans la durée s’impose, et ce dès le plus jeune âge.Sur ce sujet, certaines de mes préconisations ont été reprises. Par exemple, l’idée d’une représentation mixte des jouets a depuis été mise en œuvre, par une charte signée par les fabricants de jouets et les distributeurs. Pour que les jouets soient, demain, moins genrés et pour qu’une petite fille puisse se projeter en tant qu’astronaute.

Une autre de mes préconisations s’est retrouvée traduite, 2 ans plus tard, dans la loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche. J’ai fait voter un amendement visant à lancer une grande campagne de sensibilisation aux métiers des STEM pour les jeunes filles et leurs familles, en valorisant les parcours atypiques et réfutant les idées reçues. Et un autre pour développer des actions de mentorat, de marrainage ou parrainage, pour améliorer les chances de réussite de ces jeunes filles.

Il y a quelques instants, je vous parlais de la relation de confiance à construire et entretenir entre femmes scientifiques et médias. Et parce que j’évoque la confiance, j’aimerais, en quelques mots, traiter de la parole scientifique et de la nécessité que celle-ci puisse être portée et entendue par toutes et tous.

Pour y parvenir, il s’agit de vulgariser, de faire preuve de pédagogie, tout en étant scientifiquement correct et en ne trahissant pas ce qu’est la difficulté de la science, l’absence de réponse parfois. Et je voudrais ici témoigner de ce qu’a pu représenter, pour moi par exemple, une émission comme C’est pas sorcier ou Il était une fois la vie qui a su faire ce travail de pédagogie, rendre les sciences encore plus attractives tout en ne renonçant jamais à la rigueur et à la fiabilité de l’information, de l’expertise scientifique qui était apportée.

Et enfin, pour conclure, parce que nous parlons de fiabilité de l’information, de l’expertise, de confiance aussi, quelques mots d’actualité pour évoquer le journal Sciences et Vie. Je sais que vous avez toutes et tous été très sensibles à la situation de ce journal et des équipes qui ont contribué à en faire une référence. Aujourd’hui, son rachat pose de nombreuses questions. J’ai eu l’occasion d’échanger avec la société des journalistes de Sciences & Vie il y a plusieurs semaines et je peux vous assurer que nous sommes, en tant que parlementaires, très vigilants pour protéger la profession de journaliste et que nous serons toujours aux côtés de celles et ceux qui travaillent pour la science, pour la valoriser mais aussi pour la respecter.

Je me réjouis qu’une mission ait été confiée à Laurence Franceschini, Conseillère d’Etat et présidente de la Commission paritaire des publications et agences de presse pour réfléchir sur les conditions d’accès aux aides à la presse. J’ai pu l’aborder dans mon propos, je souhaite que nous puissions ouvrir ce débat autour d’une conditionnalité des aides publiques. Ce débat, j’ai pu l’avoir avec les représentants des éditeurs de presse mais aussi avec les syndicats de journalistes, à plusieurs reprises. Et je crois pouvoir dire que nous étions, avec ces derniers, sur la même longueur d’onde.

Les aides publiques à la presse pourraient à l’avenir être conditionnées au respect d’un pourcentage de journalistes dans les rédactions car, je souhaite, nous souhaitons toutes et tous, protéger ce métier, protéger ceux qui l’exercent. Nous souhaitons réaffirmer qu’un journaliste n’est pas un chargé de contenu ; il doit collecter des informations, les analyser, leur donner une perspective et délivrer, in fine, une information fiable et vérifiée. Et ces aides publiques, elles pourraient aussi être conditionnées au respect d’un quota de femme aux postes à responsabilité éditoriale.

Voilà, Mesdames et Messieurs ce que je voulais vous dire ce matin. Et vous témoigner de mon respect pour ce que vous faites, chaque jour, au service de la Science, en tant que scientifique, ou en tant que journaliste.

Je suis certaine que vos échanges seront riches et je forme le vœu que nous puissions rapidement nous retrouver, à la BNF, toutes et tous, en présentiel pour un nouvel échange.

Je vous remercie.

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