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NUMÉRIQUE : DES FORMATIONS ET MÉTIERS POUR UN MONDE À INVENTER

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Le 4 décembre dernier, j’introduisais le webinaire – destiné aux enseignantes et enseignants – organisé par Talents du numérique et R2E sur le thème du numérique : « Des formations et métiers pour un monde à inventer ». En tant que Députée membre de la Commission des Affaires Culturelles et de l’Education, je tenais tout d’abord à remercier les enseignantes et enseignants qui, ces derniers mois, ont aussi été en première ligne et ont su faire preuve de réactivité, notamment grâce au numérique.

À travers mon propos introductif, je reviens sur ces bouleversements mais aussi sur les opportunités qu’offre le numérique dans l’éducation – notamment pour repenser notre stratégie éducative –, sur le contrôle des données, la place du numérique dans la voie professionnelle ou encore la place des femmes dans les métiers d’avenir.

En voici la version écrite ⤵️


Mesdames et Messieurs,

Chers enseignantes et enseignants,

Je suis ravie d’introduire cet après-midi de formation autour du numérique avec un thème particulièrement intéressant qui est celui des formations et des métiers d’avenir pour un monde à inventer.

On pourrait également dire, pour un monde à réinventer. Car c’est, je crois, le principal enseignement de cette crise de la COVID-19. Elle nous pousse, toutes et tous à nous réinventer. Et assurément, vous réinventer, vous avez su le faire depuis le mois de mars dernier. Je tiens à vous en remercier.

Et si vous avez su le faire, c’est aussi grâce au numérique. Le numérique qui a été un formidable outil pour assurer la continuité pédagogique.

Pendant le premier confinement, la fermeture des établissements scolaires a concerné près de 14 millions d’élèves, 800 000 professeurs et plus d’un million de personnel de l’éducation, administration et direction. Le numérique s’est alors imposé pour assurer la continuité pédagogique et permettre ainsi la poursuite, certes bousculée, des missions fondamentales de l’éducation nationale.

Des dispositifs inédits ont été mis en place pour continuer à former et à accompagner les élèves. Je pense notamment au dédoublement systématique des classes, au retour d’une forme de télévision scolaire avec l’opération « Nation Apprenante » qui a été mise en place très rapidement par les entreprises de l’audiovisuel public que l’on peut féliciter. Je pense encore au dispositif « Ma classe à la maison » mis en place par le CNED et qui a offert aux professeurs et élèves de la grande section à la terminale des exercices en autonomie ainsi que des classes virtuelles.

Cette période d’école à la maison a été difficile, nous le savons tous, pour les parents mais aussi pour les enfants. Elle a révélé de nombreuses inégalités. Il est plus simple de faire l’école à la maison quand les parents peuvent télétravailler, aider leur enfant et créer une nouvelle alliance dans le contrat pédagogique en renforçant le binôme parent-enseignant. Il en va différemment dans les familles monoparentales dont le parent doit se rendre sur son lieu de travail tous les jours. Mais je veux aussi souligner combien cette période a pu conduire à de belles surprises. Je pense ici à des enseignantes et des enseignants qui témoignaient avoir été très agréablement surpris par la capacité d’organisation des élèves et par l’entraide dont ils ont su faire preuve entre eux.

Vous avez été les principaux acteurs de cette continuité pédagogique et nous devons vous en remercier. Mais au-delà des mots, cette crise nous a fait prendre conscience que nous devions nous donner les moyens de garantir à tous l’accès au service public de l’éducation, en toutes circonstances, sur l’ensemble du territoire. C’est pourquoi, dans le projet de loi de Finances pour 2021 que nous voterons dans les jours à venir, 131 millions d’euros sont dédiés, au titre du plan de relance, à la continuité pédagogique. Ils permettront notamment de financer des matériels pour atténuer les inégalités scolaires, lutter contre la fracture numérique et nous inscrire dans l’ambition européenne autour du plan numérique pour l’éducation.

Mais le numérique dans l’éducation, ce n’est pas qu’un moyen de garantir la continuité pédagogique. Le numérique est aussi un formidable outil pour repenser nos stratégies éducatives et repenser la formation des générations futures.

Car aujourd’hui, je crois que l’usage qui est fait du numérique éducatif est trop peu innovant. Nous avons tous pu constater un recours accru à la classe virtuelle mais elle est une toute petite partie de ce que proposent les entreprises de la EdTech avec par exemple l’utilisation des smartphones ou encore la réalité virtuelle. Je crois que le vrai sujet n’est plus tant technologique que pédagogique. Il est de savoir comment une nouvelle pédagogie peut venir au service de l’enseignement et comment le numérique peut rentrer à l’école pour travailler avec les enseignants.

De nombreuses applications existent et sont de formidables outils d’apprentissage qui sont pourtant sous-utilisées. Elles sont sous-utilisées, d’une part, car la prise de décision se fait par des marchés publics, au niveau local, mais aussi parce que l’écran est aujourd’hui encore considéré comme un « ennemi » et parce que l’investissement dans l’innovation pédagogique est trop faible.

Aujourd’hui, en France, l’investissement en EdTech, sur les ressources, représente chaque année 10 à 15 millions d’euros, soit 1 euro par élève et par an. Au Royaume-Uni, c’est 10 fois plus. Au niveau mondial, c’est environ 7 milliards d’investissements dont 2/3 aux Etats-Unis. Pour être à un niveau similaire, il faudrait que nous dépensions 15 euros par élève et par an.

Innover dans l’éducation, grâce au numérique, c’est aussi revoir nos programmes et faire une plus grande place aux apprentissages qui seront demain indispensables et qui nous concernent toutes et tous pour l’avenir de notre pays. J’en veux pour exemple la programmation numérique qui est au cœur de nombreux métiers dits d’avenir et qui n’est aujourd’hui que très peu enseignée. Elle doit, je crois, l’être dès le plus jeune âge, d’abord car elle prépare à ces métiers du numérique mais aussi car elle permet l’acquisition de nombreuses compétences et automatismes : la logique, le contrôle à chaque étape ou encore le travail collectif…

Je sais que vous aurez l’occasion cet après-midi de revenir sur ces sujets. Mais je voulais d’ores-et-déjà les évoquer car la crise est une formidable opportunité pour un changement de paradigme, pour faire évoluer notre pédagogie et inventer, réinventer l’école de demain.

Je voulais également évoquer ces sujets parce que notre échange, cet après-midi, intervient un mois jour pour jour après les États généraux du numérique éducatif qui se sont tenus les 4 et 5 novembre derniers.

Avec une dizaine de collègues députés, ils ont été l’occasion de faire 15 propositions pour le numérique éducatif de demain. Ces propositions, elles poursuivent quatre objectifs.

D’abord, de résoudre les inégalités territoriales et sociales d’accès au numérique éducatif mises en lumière par la crise. Nos propositions passent donc par une politique d’équipement individuel des élèves en matériel informatique, par le développement prioritaire de l’accès des établissements scolaires au Très Haut Débit ou encore par un appui renforcé aux familles qui ont recours au soutien scolaire à distance.

Le deuxième objectif, il est de favoriser la maitrise des compétences numériques des enfants et de leurs parents notamment en accompagnant mieux les parents d’élèves dans leur formation aux outils scolaires numériques mais aussi en détectant mieux les enfants en situation d’illectronisme car ce déficit de compétences numérique est bien présent chez les plus jeunes, et ce malgré l’usage quotidien du téléphone portable ou smartphone.

Ces propositions visent aussi le corps enseignant qu’il convient d’équiper et de former aux usages et pratiques du numérique éducatif. C’est donc prendre davantage en compte les compétences numériques des candidats dans les concours de l’éducation nationale, assurer une formation spécifique aux usages et pédagogie du numérique dans les INSPE ou encore soutenir financièrement les enseignantes et enseignants s’équipant en matériel informatique individuel. Sur ce dernier point, je crois que nous avons été entendus et le ministre Jean-Michel Blanquer a annoncé la mise en place d’une prime annuelle d’équipement de 150 euros à destination des enseignants. Elle permettra par exemple à un enseignant de s’équiper d’un smartphone.

Enfin, le quatrième objectif est de disposer de ressources et services pédagogiques numériques accessibles dans un cadre respectueux de la vie privée. Pour ce faire, il est nécessaire de doter les établissements scolaires d’une ressources financière destinée aux services et ressources pédagogiques numériques, d’œuvrer au développement d’un catalogue d’applications mais aussi de garantir un cadre juridique lisible et protecteur des données d’éducation.

Car le numérique dans l’éducation, la formation et l’orientation c’est aussi le grand défi des données et de leur contrôle. Je l’évoquais il y a quelques instants, vous avez œuvré, ces derniers mois, à assurer la continuité pédagogique et vous avez, par là-même, nouer de nouveaux liens avec vos élèves grâce aux messageries instantanées disponibles sur les espaces numériques de travail (ENT) mais aussi bien souvent grâce à Zoom, Skype, WhatsApp… Et donc, d’une certaine façon, les GAFAM sont entrés à l’école alors même que leurs modèles économiques et l’usage qu’ils font de nos données ne sont pas toujours conciliables avec l’idéal que nous nous faisons de l’école de la République.

Les risques liés à l’utilisation des outils mis à disposition par les géants du net sont nombreux : atteinte à la liberté si l’on m’impose l’emploi de cet outil, collecte et traitement de données qui risquent de porter atteinte à ma vie privée, absence de questionnement critique de ces outils ou encore impact environnemental non maitrisé.

Sur ce sujet, nous sommes au cœur de l’actualité puisque le 15 décembre prochain, la Commission Européenne présentera le Digital Services Act, en tant que cadre juridique avec un double objectif : dépoussiérer le droit de la concurrence qui n’a pas réussi, jusqu’à présent, à empêcher les GAFAM de constituer des empires, et surtout définir des règles claires qui encadrent la responsabilité des services numériques quant à la protection des usagers.

Mais en parallèle, et parce qu’il nous faut mieux préparer les enfants à vivre dans une société devenue elle-même numérique, l’école doit rendre chacune et chacun capable d’utiliser de manière critique les technologies numériques. Il est donc primordial de construire, dès à présent, une éducation à un usage citoyen, responsable et éthique des nouvelles technologies. L’éducation au numérique doit questionner les droits et responsabilités numériques. Elle doit permettre une réflexion sur les usages qui sont faits des données personnelles et elle doit permettre à chaque jeune de se constituer un environnement numérique de confiance. Je crois, là encore, qu’on est au cœur de ce que doit être l’école de demain.

J’ai beaucoup parlé d’école, au sens large, qui recouvre le primaire, le secondaire et les lycées. Mais j’aimerais maintenant faire un bref focus sur la voie professionnelle. Parce que longtemps décriée, c’est aujourd’hui une voie d’excellence. Une voie d’excellence qui forme aux métiers de demain. Une voie d’excellence qui doit donc aussi prendre le virage numérique.

Et je veux ici évoquer une expérimentation que j’ai eu à connaître en 2018. C’est l’expérimentation ProFan. Ce dispositif implique 80 lycées professionnels, à travers leurs cursus de CAP et de Bac Professionnel, et leur permet de développer de nouvelles manières d’enseigner et d’apprendre à partir de dispositifs pédagogiques et numériques. Cette expérimentation elle permet par exemple à une élève en CAP Ébéniste de travailler avec des outils numériques perfectionnés qui lui permettront de réaliser des pièces qu’il aurait été quasi-impossible de réaliser à la main. C’est véritablement la combinaison de l’usage du numérique avec des formations existantes pour favoriser l’acquisition de compétences nouvelles et répondre aux exigences des métiers du futur.

Je voulais évoquer cet exemple parce que l’on a encore trop souvent tendance à considérer que les métiers d’avenirs sont les métiers de data-scientist, de designer ou encore de développeuse. Mais les métiers d’avenir ce sont aussi ces métiers manuels qui sont revisités par le numérique : l’ébénisterie, la joaillerie, la ferronnerie ou encore la menuiserie !

Vous l’avez surement noté, il y a quelques instants, j’ai parlé de développeuse. Et non de développeur. Je l’ai fait car je souhaite également dire quelques mots de la place des femmes dans ces métiers du numérique.

En 2018, j’ai eu la chance de travailler, au nom de la Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale, sur la place des femmes dans les sciences. J’ai mené de nombreuses auditions, je me suis déplacée sur le terrain et j’ai pu constater ce plafond de verre : les femmes sont moins présentes dans les parcours scientifiques et technologiques à mesure que le niveau d’étude et de qualification augmente. Et les femmes sont également moins présentes dans ces filières qu’elles ne l’étaient il y a plusieurs décennies.

Ce rapport a été l’occasion de définir quatre axes d’action : la lutte contre les stéréotypes de genre, les actions à mener de l’école à l’enseignement supérieur, le renforcement des règles dans le monde du travail et une meilleure implication de la société et des hommes en faveur de l’égalité. Certaines de mes préconisations ont été reprises. C’est notamment le cas de la charte pour une représentation mixte des jouets qui a été signée par les fabricants de jouets et les distributeurs, pour que les jouets soient, demain, moins genrés, pour qu’une petite fille puisse se projeter en tant qu’astronaute. Ce travail doit se poursuivre, il doit aussi se faire dans les salles de classe car selon les chiffres de l’étude récente menée par Talents du numérique, 20% des enseignants pensent encore que les métiers du numérique sont exclusivement masculins !

Ce travail, c’est aussi celui qui contribuera à une meilleure orientation des jeunes. Une orientation qui respecte les envies, les inclinations mais qui ouvre des champs de possibilités. Ce n’est pas encore assez le cas aujourd’hui. Un exemple : en 2019, a été créé la spécialité « numérique et sciences informatiques » au lycée. 15% des garçons ont choisi cette spécialité contre 2% des filles. Preuve s’il en fallait une que les biais de genre demeurent. Et ils demeurent alors même que ces formations conduisent aux métiers du numérique qui seront, demain encore plus qu’aujourd’hui, indispensables et à des filières qui recrutent. Entre 2017 et 2027, près de 90 000 créations de postes sont attendues dans le numérique. Il est de notre devoir à toutes et tous de veiller à ce que ces postes ne soient pas pourvus exclusivement par des hommes ! Je sais que vous aurez l’occasion de l’évoquer cet après-midi, mais ce sujet implique de travailler encore davantage sur la déconstruction des stéréotypes dès le plus jeune âge pour éviter qu’ils ne trouvent des traductions regrettables au moment de l’orientation !

Vous l’avez compris, le sujet du numérique m’anime. Il embrasse de nombreuses opportunités et des questionnements autour de la continuité pédagogique, des nouvelles stratégies éducatives, du contrôle des données, de la voie professionnelle mais aussi de la place des femmes dans ces métiers. Ce sujet il est aussi au cœur de mon engagement de Députée. Et au moment où nous nous apprêtons à voter le plan de relance de 100 milliards d’euros dont 7 milliards sont dédiés au numérique, il nous appartient à toutes et tous de faire en sorte que ces 7 milliards puissent contribuer au déploiement du numérique dans l’éducation, dans la formation, dans l’orientation pour que nous puissions inventer et nous réinventer.

Je vous souhaite de bons échanges cet après-midi et je vous remercie.

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