Le mercredi 18 décembre, la Conférence des Présidents d’Université s’est réuni à l’Assemblée nationale, pour un séminaire sur la future Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche, LPPR.
J’ai eu le plaisir d’introduire cet après-midi d’échanges. Voici l’intégralité de mon discours :
———
Monsieur le Président de la Conférence des Présidents d’Université, Cher Gilles Roussel,
Mesdames et messieurs les Députés,
Mesdames et messieurs les Présidents d’Université,
Mesdames, messieurs,
Avant tout, je souhaite remercier la Conférence des Présidents d’Université de m’avoir proposée d’ouvrir cette belle après-midi d’échanges autour de l’avenir et des enjeux de la recherche française.
Cette rencontre entre les parlementaires et les Présidents d’Université est primordiale, parce qu’ensemble, nous devons nous montrer à la hauteur de l’excellence de la recherche française. En effet, nous sommes à la veille d’une Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche, qui sera portée par la ministre Frédérique Vidal, dans les mois à venir.
I – Dire que la recherche est primordiale pour notre nation, pour la société, c’est bien. Et que la France est un pays de science, aussi. L’illustrer, c’est mieux.
Illustrer la place de la recherche pourrait être d’égrainer les noms des concepts, découvertes ou inventions.
L’illustrer pourrait être d’égrainer les noms de Louis Pasteur, Marie Curie, Claude Lévi-Strauss, Françoise Barré Sinoussi, Jean Tirole, mon collègue Cédric Villani ou encore, Jules Hoffman, prix Nobel de médecine en 2011 qui nous fait l’honneur de sa présence aujourd’hui. Merci Monsieur.
L’illustrer, c’est m’attarder sur le parcours de l’une d’entre elles. Celui d’une femme scientifique, que j’ai eu la chance et l’honneur de rencontrer au printemps 2018 : Madame Françoise Barré-Sinoussi.
Elle représente pour moi l’exemple même de l’engagement d’une femme de Science pour la société. Chercheuse française reconnue depuis les années 1970, elle a fait ses études de biologie et de biochimie à la faculté des sciences de l’Université de Paris, avant d’intégrer l’Institut Pasteur puis l’Institut national de la Santé et de la Recherche médicale, dont elle devient la directrice de recherche. Françoise Barré-Sinoussi est une femme issue du système d’enseignement français, elle a été imprégnée par son excellence !
Une excellence qui lui permet, au côté de Luc Montagnier, de découvrir le VIH.
De cette découverte, elle ne se contentera pas et elle consacrera sa carrière à la recherche d’un vaccin. Elle accompagnera ses recherches d’un véritable engagement dans la prévention et les actions de Santé publique pour lutter contre le Sida.
En 2008, avec Luc Montagnier, elle reçoit la plus grande et plus prestigieuse distinction mondiale pour un chercheur : le prix Nobel de médecine récompensant sa découverte et le combat d’une vie.
Nous avons l’honneur en France d’avoir des femmes et des hommes qui vivent la Science, la font vivre et nous permettent de mieux vivre.
Des hommes et des femmes d’exception, des chercheurs et des chercheuses exceptionnels. Soyons fiers !
Oui, la place de France dans le concert mondial de la Recherche est prépondérante.
Mais le monde qui nous entoure connait de plus en plus de défis : environnementaux, technologiques, médicaux, économiques, et, il faut le dire, éthiques. Et la Recherche est l’antidote face à tous ces challenges.
Il nous faut opérer une nouvelle ambition dans notre manière d’aborder la Recherche, pour répondre à ces défis planétaires et maintenir, conforter, le niveau de la France dans la recherche.
II – En effet, nous devons nous engager car il y a une urgence à agir.
Cette urgence, nous en sommes conscients. Et la France montre déjà qu’elle s’engage.
1. Ouvrir des chantiers
Si l’on prend le domaine de l’Intelligence Artificielle, le 8 septembre 2017, le Premier ministre Édouard Philippe a confié à Cédric Villani une mission sur l’IA.
L’objectif était de poser les bases d’une stratégie nationale ambitieuse pour la France en la matière.
Le 29 mars 2018, au Collège de France, le Président de la République a présenté sa vision et sa stratégie pour faire de la France un pays leader de l’Intelligence Artificielle, parce qu’il faut souligner le caractère crucial de l’IA sur et dans nos vies.
2. Financer
Sur le plan financier, nous investissons. Depuis le début du quinquennat, les moyens du MESRI auront été renforcés de 1,3 Md€, soit une hausse de 5,3 %.
Sur deux ans, la hausse atteindra même 8%. Là aussi, cela traduit une conviction simple : nous devons investir pour préparer l’avenir.
Mais cela n’est pas suffisant.
3. Investir
Comme le Premier ministre l’a annoncé en février 2019, devant le CNRS, l’ambition se concrétisera dans une Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche, dans les mois à venir.
Son objectif doit être d’engager, dans la durée, les transformations dont notre recherche a besoin pour être au rendez-vous de nos ambitions en matière d’attractivité internationale et de développement.
Trois groupes de travail ont été missionnés dans ce cadre-là, et ont rendu un travail important en septembre 2019. Ces travaux ont porté sur :
- La recherche sur projet et l’articulation entre financement compétitif et financement récurrent des laboratoires ;
- L’attractivité des emplois et des carrières scientifiques ;
- La recherche partenariale et l’innovation.
Je crois que l’on peut remercier tous les membres de ces groupes, en particulier les parlementaires impliqués : Cédric Villani, Francis Chouat mais aussi Philippe Berta. Nous avons eu le plaisir de les auditionner cet automne à l’Assemblée nationale.
La future Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche va bien sûr s’inscrire dans une trajectoire plus globale, que rappelait le Président de la République, Emmanuel Macron, le 26 novembre lors des 80 ans du CNRS.
L’objectif, c’est 3% de PIB. Il faut pouvoir l’affirmer.
Mais il ne faut pas se dire qu’une simple augmentation, et encore, pas si simple, des budgets sera la solution miracle.
Oui, il faut se transformer.
III – Il faut pouvoir avoir un large débat, sortir des conservatismes, et changer de paradigme dans la manière que nous avons d’appréhender la recherche.
Et la CPU participe activement aux débats. Je souhaite souligner le précieux travail que vous avez publié le 5 septembre dernier, avec vos propositions autour de trois axes :
1/ Investir, vous parlez d’un milliard supplémentaire par an, pour « faire la course en tête ». Vous avez raison, et cette question de l’investissement massif sera au rendez-vous de la loi que portera Madame la ministre, pour être on flow et non pas on the edge.
2/ Dynamiser les territoires par la recherche et la formation. En effet, sur toute la France on compte plus de 1,6 millions d’étudiants, 150 000 personnels, professeurs… Il s’agit d’un véritable poids économique et nous devons nous appuyer sur cela pour notamment faire émerger les territoires et favoriser l’emploi. Il faut accentuer cet aspect.
3/ Faire confiance aux universités, et cela n’est pas étonnant venant de vous. En effet, il s’agit du premier degré de la recherche, le premier lieu de formation. Et j’aime bien cette idée que vous mettez en avant selon laquelle l’université doit être un miroir de la société française, dans toute sa diversité.
La diversité justement….
Si l’on parle de la place des femmes dans la recherche : il faut évoluer.
Nous ne pouvons pas nous passer de 50% des intelligences humaines de la société tant les défis sont immenses.
La place des femmes dans la production de la connaissance reste trop marginale, voire invisible, dans le secteur public comme privé, dans les universités comme dans les centres de recherche. Les femmes à l’université sont de moins en moins nombreuses au fur et à mesure que l’on monte dans la hiérarchie.
Comment expliquer que 46% des maitres de conférences soient des femmes, contre seulement un peu plus de 15% des professeurs ? Je ne parle pas de la part des femmes présidentes d’université, vous la connaissez.
A ce sujet, je porte l’idée qu’à l’avenir, nous pourrions conditionner l’obtention de financement au respecter des critères d’égalité femme/homme. Dans cette lignée, je vous invite à consulter les propositions du Haut conseil à l’égalité sur le Crédit d’impôt Recherche, ce rapport a été remis hier à Bruno Lemaire et Marlene Schiappa, dans le cadre de la préparation d’un projet de loi sur l’égalité Femme-Homme dans l’économie.
Si j’ai pu dire plus tôt dans ce discours que le monde, la société gagne à s’ouvrir à la science, par ces dispositifs en faveur de l’égalité, nous pourrions davantage réaffirmer que la science « gagnera » à s’ouvrir la société. Toute la société !
Après la diversité du genre, j’aimerais formuler un appel à une autre acception de la diversité et inviter à faire plus.
Nous devons décloisonner. Favoriser le dialogue entre les disciplines, entre les centres de recherche et les universités, entre les étudiants et les chercheurs, car ils prendront la relève, entre les universités et les politiques, entre les chercheurs de différentes branches. En somme, je parle tout simplement d’interdisciplinarité.
Et puis le terme de diversité est aussi une référence, celle à une devise que nous connaissons tous. Celle de l’Europe. Unis dans la diversité. Je souhaite que la recherche en France encourage la recherche en Europe et inversement.
Face aux géants que sont la Chine, les Etats-Unis d’Amérique, ou encore l’Inde, la France ne peut trouver un écho que si elle travaille de concert avec l’Europe. Je regrette que les rapports remis n’aient pas assez parlé de cet aspect-là que nous devons travailler, avec vous, pour apporter des solutions concrètes.
Les débats préparatoires et le débat parlementaire seront des moments clefs sur cet enjeu, et votre participation sera majeure. Je sais que dès cet après-midi, vous allez soulever le sujet, lors de la carte blanche donnée à Jules Hoffmann « Recherche scientifique et concurrence internationale : quelle place pour la France ? ». Vos travaux seront essentiels dans notre manière d’appréhender le texte qui nous sera présenté.
En effet, nous avons besoin de vous, de vos idées, de vos suggestions et de votre mobilisation.
Il s’agira également de sensibiliser toute la société, repenser la place de la Science dans celle-ci ainsi que celle des scientifiques, des chercheurs.
Ce n’est pas en restant entre initiés qu’on arrive à penser et repenser le monde qui nous entoure. Vous tous êtes des ponts entre la société et la recherche !
Conclusion :
Vous l’aurez compris, l’injection de plusieurs milliards d’euros dans notre modèle actuel ne suffira pas pour relancer la recherche française et lui permettre d’être à l’avant-garde.
Il nous faut repenser notre modèle, insuffler plus de dialogue, construire plus de ponts entre l’enseignement et la recherche, donner plus de liberté, permettre plus d’agilité et promouvoir l’interdisciplinarité, entre autres.
Il ne s’agit là que de pistes de réflexion. Personne ne peut dire qu’il détient la formule de l’avenir de la Recherche. Cette formule, nous allons la rechercher ensemble !
Sachez que les portes de l’Assemblée nationale, j’en suis certaine, seront toujours ouvertes pour dialoguer, et obtenir vos recommandations, vos idées.
Et sans plus attendre, place aux échanges !
Je vous remercie.
Céline Calvez
Députée des Hauts de Seine